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Examinez toutes les nations ; & vous verrez que, dans la plupart, la gravité, l’orgueil & la paresse marchent du même pas.

Les peuples d’Achim[1] sont fiers & paresseux : ceux qui n’ont point d’esclaves en louent un, ne fût-ce que pour faire cent pas, & porter deux pintes de riz ; ils se croiroient déshonorés s’ils le portoient eux-mêmes.

Il y a plusieurs endroits de la terre où l’on se laisse croître les ongles, pour marquer que l’on ne travaille point.

Les femmes des Indes[2] croient qu’il est honteux pour elles d’apprendre à lire : c’est l’affaire, disent-elles, des esclaves qui chantent des cantiques dans les pagodes. Dans une caste, elles ne filent point ; dans une autre, elles ne font que des paniers & des nattes, elles ne doivent pas même piler le riz ; dans d’autres, il ne faut pas qu’elles aillent quérir de l’eau. L’orgueil y a établi ses regles, & il les fait suivre. Il n’est pas nécessaire de dite que les qualités morales ont des effets différens, selon qu’elles sont unies à d’autres : ainsi l’orgueil, joint à une vaste ambition, à la grandeur des idées, &c. produisit chez les Romains les effets que l’on sçait.


CHAPITRE X.

Du caractere des Espagnols, & de celui des Chinois.


LES divers caracteres des nations sont mêlés de vertus & de vices, de bonnes & de mauvaises qualités. Les heureux mêlanges sont ceux dont il résulte de grands biens ; & souvent on ne les soupçonneroit pas : il y en a dont il résulte de grands maux, & qu’on ne soupçonneroit pas non plus.

  1. Voyez Dampierre, tome III.
  2. Lettres édifiantes, douzieme recueil, pag. 80.