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leur oncle "comme de leur propre pere. Il y a des gens qui regardent ce lien comme plus étroit & même plus saint ; ils le préferent, quand ils reçoivent des otages." C’est pour cela que nos premiers historiens[1] nous parlent tant de l’amour des rois Francs pour leur sœur & pour les enfans de leur sœur. Que si les enfans des sœurs étoient regardés dans la maison comme les enfans mêmes, il étoit naturel que les enfans regardassent leur tante comme leur propre mere.

La sœur de la mere étoit préférée à la sœur du pere ; cela s’explique par d’autres textes de la loi salique : lorsqu’une femme étoit veuve[2], elle tomboit sous la tutelle des parens de son mari ; la loi préféroit, pour cette tutelle, les parens par femmes aux parens par mâles. En effet, une femme qui entroit dans une famille, s’unissant avec les personnes de son sexe, elle étoit plus liée avec les parens par femmes, qu’avec les parens par mâles. De plus : quand un[3] homme en avoit tué un autre, & qu’il n’avoit pas de quoi satisfaire à la peine pécuniaire qu’il avoit encourue, la loi lui permettoit de céder ses biens, & les parens devoient suppléer à ce qui manquoit. Après le pere, la mere & le frere, c’étoit la sœur de la mere qui payoit, comme si ce lien avoit quelque chose de plus tendre : or la parenté, qui donne les charges, devoit de même donner les avantages.

La loi salique vouloit qu’après la sœur du pere, le plus proche parent par mâle eût la succession : mais, s’il étoit parent au-delà du cinquieme degré, il ne succédoit pas. Ainsi une femme au cinquieme degré auroit succédé au préjudice d’un mâle du sixieme : & cela se voit dans la loi[4] des Francs Ripuaires, fidele inter-


  1. Voyez, dans Gregoire de Tours, liv. VIII, ch. XVIII & XX ; liv. IX, chap. XVI & XX, les fureurs de Gontran sur les mauvais traitemens faits à Ingunde, sa niece, par Leuvigilde : & comme Childebert, son frere, fit la guerre pour la venger.
  2. Loi salique, tit. 47.
  3. Loi salique, tit. 61, §. 1.
  4. Et deinceps usque ad quintum genuculum qui proximus fuerit in hæreditatem succedat, tit. 56, §. 6.