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Supposons un moment que la légèreté d’esprit & les indiscrétions, les goûts & les dégoûts de nos femmes, leurs passions grandes & petites, se trouvassent transportées dans un gouvernement d’orient, dans l’activité & dans cette liberté où elles sont parmi nous ; quel est le pere de famille qui pourroit être un moment tranquille ? Par-tout des gens suspects, par-tout des ennemis ; l’état seroit ébranlé, on verroit couler des flots de sang.


CHAPITRE X.

Principe de la morale de l’orient.


DANS le cas de la multiplicité des femmes, plus la famille cesse d’être une, plus les loix doivent réunir à un centre ces parties détachées ; & plus les intérêts sont divers, plus il est bon que les loix les ramenent à un intérêt.

Cela se fait sur-tout par la clôture. Les femmes ne doivent pas seulement être séparées des hommes par la clôture de la maison ; mais elles en doivent encore être séparées dans cette même clôture, en sorte qu’elles y fassent comme une famille particuliere dans la famille. De-là dérive, pour les femmes, toute la pratique de la morale, la pudeur, la chasteté, la retenue, le silence, la paix, la dépendance, le respect, l’amour ; enfin une direction générale de sentimens à la chose du monde la meilleure par sa nature, qui est l’attachement unique à sa famille.

Les femmes ont naturellement à remplir tant de devoirs qui leur sont propres, qu’on ne peut assez les séparer de tout ce qui pourroit leur donner d’autres idées de tout ce qu’on traite d’amusemens, & de tout ce qu’on appelle des affaires.

On trouve des mœurs plus pures dans les divers états d’orient, à proportion que la clôture des femmes y est plus exacte. Dans les grands états, il y a nécessairement des grands seigneurs. Plus ils ont de grands moyens,