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lui-ci n’a emprunté que pour s’en défaire, & que par conséquent il n’a plus. Que sera-ce, dans une république, si les loix augmentent cette servitude encore davantage ?

A Athenes & à Rome[1], il fut d’abord permis de vendre les débiteurs qui n’étoient pas en état de payer. Solon corrigea cet usage à Athenes[2] : il ordonna que personne ne seroit obligé par corps pour dettes civiles. Mais les décemvirs[3] ne réformerent pas de même l’usage de Rome ; &, quoiqu’ils eussent devant les yeux le réglement de Solon, ils ne voulurent pas le suivre. Ce n’est pas le seul endroit de la loi des douze-tables où l’on voit le dessein des décemvirs de choquer l’esprit de la démocratie.

Ces loix cruelles contre les débiteurs mirent bien des fois en danger la république Romaine. Un homme couvert de plaies s’échappa de la maison de son créancier, & parut dans la place[4]. Le peuple s’émut à ce spectacle. D’autres citoyens, que leurs créanciers n’osoient plus retenir, sortirent de leurs cachots. On leur fit des promesses ; on y manqua : le peuple se retira sur le mont-sacré. Il n’obtint pas l’abrogation de ces loix, mais un magistrat pour le défendre. On sortoit de l’anarchie, on pensa tomber dans la tyrannie. Manlius, pour se rendre populaire, alloit retirer des mains des créanciers les citoyens qu’ils avoient réduits en esclavage[5]. On prévint les desseins de Manlius ; mais le mal restoit toujours. Des loix particulieres donnerent aux débiteurs des facilités de payer[6] ; &, l’an de Rome 428, les consuls porterent une


  1. Plusieurs vendoient leurs enfans pour payer leurs dettes. Plutarque, vie de Solon.
  2. Ibid.
  3. Il paroît, par l’histoire, que cet usage étoit établi chez les Romains, avant la loi des douze-tables, Tite Live, premiere décade, livre II.
  4. Denys d’Halicarnasse, antiquités Romaines, liv. VI.
  5. Plutarque, vie de Furius Camillus.
  6. Voyez ci-dessous, le chap. XXIV, liv. XXII.