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position décidée de l’auteur au despotisme, dit-il, sentiment louable en soi, l’emporte au-delà des bornes. À force d’être ami des hommes, il cesse d’aimer autant qu’il le doit, sa patrie. Toute son estime, disons mieux, toute son admiration est pour le gouvernement d’une nation voisine, digne rivale de la nation Françoise ; mais qu’il n’est pas à souhaiter pour nous de prendre pour modele à bien des égards. L’Anglois doit être flatté, en lisant l’ouvrage de l’Esprit des loix ; mais cette lecture n’est capable que de mortifier les bons François. »

Il faut s’arrêter sur le raisonnement de M. Crévier. Il accuse M. de Montesquieu de ne pas aimer sa patrie autant qu’il le doit, parce qu’il a une opposition décidée pour le despotisme, & parce qu’il aime beaucoup les hommes. Mais, si ce grand homme étoit moins opposé au despotisme, & s’il aimoit moins les hommes, M. Crévier jugeroit donc alors qu’il aimeroit sa patrie autant qu’il la doit aimer. N’usons pas de représailles contre cet écrivain ; croyons qu’il n’a pas entendu ce qu’il a voulu dire ; & c’est une justice qu’il faut souvent lui rendre.

Mais voyons donc ce que M. de Montesquieu pense effectivement de sa patrie. Il dit, livre XX, chapitre XX, à la fin : « Si, depuis deux ou trois siecles, la France a augmenté sans cesse sa puissance, il faut attribuer cela à la bonté de ses loix, non pas à la fortune, qui n’a pas ces sortes de constance. »