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C’est un grand mal, parmi nous, de faire subir la même peine à celui qui vole sur un grand chemin, & à celui qui vole & assassine. Il est visible que, pour la sûreté publique, il faudroit mettre quelque différence dans la peine.

A la Chine, les voleurs cruels sont coupés en morceaux[1], les autres non : cette différence fait que l’on y vole, mais que l’on n’y assassine pas.

En Moscovie, où la peine des voleurs & celle des assassins sont les mêmes, on assassine[2] toujours. Les morts, y dit-on, ne racontent rien.

Quand il n’y a point de différence dans la peine, il faut en mettre dans l’espérance de la grace. En Angleterre, on n’assassine point ; parce que les voleurs peuvent espérer d’être transportés dans les colonies ; non pas les assassins.

C’est un grand ressort des gouvernemens modérés, que les lettres de grace. Ce pouvoir que le prince a de pardonner, exécuté avec sagesse, peut avoir d’admirables effets. Le principe du gouvernement despotique, qui ne pardonne pas, & à qui on ne pardonne jamais, le prive de ces avantages.


CHAPITRE XVII.

De la torture ou question contre les criminels.


PARCE QUE, les hommes sont méchans, la loi est obligée de les supposer meilleurs qu’ils ne sont. Ainsi la déposition de deux témoins suffit dans la punition de tous les crimes. La loi les croit, comme s’ils parloient par la bouche de la vérité. L’on juge aussi que tout enfant conçu pendant le mariage est légitime : la

  1. Pere du Halde, tom. I, pag. 6.
  2. État présent de la grande Russie par Perry.