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SUR LA CONSIDÉRATION.

voies plus faciles que celles de la vertu. » M. le Président de Montesquieu confirme ces réflexions par plusieurs exemples.

L’amour-propre des autres se satisfait quelquefois en nous donnant de la réputation, mais souvent il se plaît encore plus à détruire son ouvrage.

« On s’impatiente dans la recherche des causes morales, dit l’auteur, de trouver toujours l’amour-propre sur son chemin et d’avoir toujours la même chose à redire.

« Cet orgueil qui entre dans nos jugements met une certaine compensation dans les choses d’ici-bas, et venge bien des gens des injures de la fortune.

« Un homme est d’une noblesse distinguée ; s’il n’a point de bien, on lui laissera sa noblesse, on se plaira même à la relever ; mais si la fortune donne de l’envie, on examinera sa naissance avec les yeux de l’envie ; non-seulement on lui disputera la chimère, mais aussi on lui ôtera du réel. »

Une ressource pour celui qui a perdu sa réputation, c’est de pouvoir en accuser l’amour-propre des autres ; pour l’ordinaire, cependant, le nôtre seul en est la cause.

Quelquefois on trouve qu’on ne va pas assez vite à la réputation, on s’impatiente, on précipite sa course : de là ces imprudences que l’on paye presque toujours par la perte des honneurs où l’on aspiroit.

Quelquefois, parvenu que l’on est au degré de réputation que l’on avoit en vue, on n’a garde de soupçonner que le mérite qu’on a n’en peut pas comporter davantage : on veut franchir ces bornes : qu’arrive-t-il ? On n’acquiert rien, et l’on perd ce que l’on avoit obtenu.

Souvent encore la réputation a tant coûté que Ton veut trop en jouir ; on la fait sentir aux autres, elle leur devient à charge et ils nous remettent à leur niveau.

Enfin, nous avons souvent la manie de ne pas nous contenter de l’espèce de réputation qui nous convient. Nous supposons en nous un mérite général, propre à tout, et nous nous perdons faute d’avoir demeuré à notre place, « Un homme qui aura acquis la réputation d’un homme vrai et qui devient un adroit courtisan, perd la réputation d’un homme vrai et n’acquiert pas celle d’adroit courtisan. »