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DISCOURS

nous avons pris leur police ; que le code militaire a cédé au code civil ; depuis surtout que les lois des fiefs n’ont plus été les seules lois de la noblesse, le seul code de l’État, et que par ce dernier changement le commerce et le labourage ont été encouragés ; que les richesses des particuliers et leur avarice se sont accrues ; qu’on a eu à démêler de grands intérêts, et des intérêts presque toujours cachés ; que la bonne foi ne s’est réservé que quelques affaires de peu d’importance, tandis que l’artifice et la fraude se sont retirés dans les contrats ; nos codes se sont augmentés ; il a fallu joindre les lois étrangères aux nationales ; le respect pour la religion y a mêlé les canoniques ; et les magistratures n’ont plus été le partage que des citoyens les plus éclairés.

Les juges se sont toujours trouvés au milieu des pièges et des surprises, et la vérité a laissé dans leur esprit les mêmes méfiances que l’erreur.

L’obscurité du fond a fait naître la forme. Les fourbes, qui ont espéré de pouvoir cacher leur malice, s’en sont fait une espèce d’art : des professions entières se sont établies, les unes pour obscurcir, les autres pour allonger les affaires ; et le juge a eu moins de peine à se défendre de la mauvaise foi du plaideur, que de l’artifice de celui à qui il confioit ses intérêts.

Pour lors il n’a plus suffi que le magistrat examinât la pureté de ses intentions ; ce n’a plus été assez qu’il pût dire à Dieu, Proba me, Deus, et scito cor meum[1] : il a fallu qu’il examinât son esprit, ses connoissances et ses talents ; il a fallu qu’il se rendît compte de ses études, qu’il portât toute sa vie le poids d’une application sans

  1. Psaume cxxxviii, v. 32.