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DISCOURS ACADÉMIQUES.

qui, dans tous les temps, ont été le présage du changement ou de la chute des États ; de ces injustices de dessein formé ; de ces méchancetés de système ; de ces vies toutes marquées de crimes, où des jours d’iniquité ont toujours suivi des jours d’iniquités ; de ces magistratures exercées au milieu des reproches, des pleurs, des murmures et des craintes de tous les citoyens : contre des juges pareils, contre des hommes si funestes, il faudroit un tonnerre ; la honte et les reproches ne sont rien.

Ainsi, supposant dans un magistrat sa vertu essentielle, qui est la justice, qualité sans laquelle il n’est qu’un monstre dans la société, et avec laquelle il peut être un très-mauvais citoyen, je ne parlerai que des accessoires qui peuvent faire que cette justice abondera plus ou moins. Il faut qu’elle soit éclairée ; il faut qu’elle soit prompte, qu’elle ne soit point austère, et enfin qu’elle soit universelle.

Dans l’origine de notre monarchie, nos pères, pauvres, et plutôt pasteurs que laboureurs, soldats plutôt que citoyens, avoient peu d’intérêts à régler ; quelques lois sur le partage du butin, sur la pâture ou le larcin des bestiaux, régloient tout dans la république : tout le monde étoit bon pour être magistrat chez un peuple qui dans ses mœurs suivoit la simplicité de la nature, et à qui son ignorance et sa grossièreté fournissoient des moyens aussi faciles qu’injustes de terminer les différends, comme le sort, les épreuves par l’eau, par le feu, les combats singuliers, etc.

Mais depuis que nous avons quitté nos mœurs sauvages ; depuis que, vainqueurs des Gaulois et des Romains[1],

  1. En sa qualité de noble, Montesquieu se croit descendu des Germains, conquérants de la Gaule.