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LETTRES FAMILIÈRES.


LETTRE CXLIX.


A L'ABBÉ COMTE DE GUASCO.


Soyez le bien venu, mon cher Comte ; je ne doute pas que ma concierge n’ait fait bien échauffer votre lit. Fatigué, comme vous deviez l’être, d’avoir couru la poste jour et nuit, et des courses faites à Fontainebleau, vous aviez besoin de ces petits soins pour vous remettre. Vous ne devez point partir de ma chambre ni de Paris que je n’arrive, à moins que vous ne vouliez venir à Paris pour me dire que je ne vous verrai pas. Je vois que vous allez en Flandre. Je voudrois bien que vous eussiez d’assez bonnes raisons de rester avec nous, outre celle de l’amitié ; mais je vois qu’il ne faudra bientôt plus à nos prélats pour coopérateurs, que des Doyenarts [1]. Eussiez-vous cru que ce laquais, métamorphosé en prêtre fanatique, conservant les sentiments de

  1. Pierre Doyenart fut laquais du fils de Montesquieu, pendant qu’il étoit au collège de Louis-le-Grand : ayant appris un peu de latin, il se sentit appelé à l’état ecclésiastique ; et, par l’intercession d’une dame, il obtint de monseigneur l’évêque de Bayonne, dont il étoit diocésain, la permission de prendre l’habit. Devenu prêtre et bénéficier dans l’église de Bayonne, il vint à Paris demander à M. de Montesquieu sa protection auprès de M. le comte de Maurepas, pour avoir un meilleur bénéfice qui vaquoit ; le priant, à cet effet, de se charger d’une requête pour le ministre. Elle débutoit par ces mots : Pierre Doyenart, prêtre du diocèse de Bayonne, ci-devant employé par feu M. l’évêque à découvrir les complots des jansénistes, ces perfides qui ne connaissent ni pape ni roi, etc. M. de Montesquieu, ayant lu ce début, plia la requête, la rendit au suppliant, et lui dit : « Allez, monsieur, la présenter vous-même, elle vous fera honneur et aura plus d’effet ; mais auparavant passez dans ma cuisine, pour déjeuner avec mes valets » : ce que M. Doyenart n’oublioit jamais de faire dans les visites fréquentes qu’il faisoit à son ancien maître. Il parvint, quelque temps après, à la dignité de trésorier, dans un chapitre d’une cathédrale en Bretagne. (GUASCO.)