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LETTRES FAMILIÈRES.


affaires, plutôt que vous retenir pour chanter et pour boire ; car je suis sûr que vous négociez aussi bien que vous chantez mal et buvez peu. Je suis fâché que l’affaire qui vous regardoit personnellement ait manqué [1] ; vous n’êtes pas le seul qui y perdiez ; et il vous reste votre liberté, qui n’est pas une petite chose ; mais l’étiquette ne dédommagera pas de l’avantage dont on s’est privé ; quoique je soupçonne qu’il pourroit bien y avoir d’autres raisons que l’étiquette, que l’exemple des autres cours auroit pu faire abandonner. Quand certaines gens ont pris racine, ils savent bien trouver des moyens pour écarter les hommes éclairés ; d’ailleurs vous n’êtes point un bel esprit du pays de Liège, ou de Luxembourg. Je me réserve là-dessus mes pensées.

Votre lettre m’a été rendue à la Brède, où je suis. Je me promène du matin au soir en véritable campagnard ; et je fais ici de fort belles choses en dehors.

Vous voilà donc parti pour la belle Italie. Je suppose que la Galerie de Florence vous arrêtera longtemps. Indépendamment de cela, de mon temps cette ville étoit un séjour charmant ; et ce qui fut pour moi un objet des plus agréables, fut de voir le premier ministre du grand-duc sur une petite chaise de bois, en casaquin et chapeau de paille, devant sa porte. Heureux pays ! m’écriois-je, où le premier ministre vit dans une si grande simplicité et dans un pareil désœuvrement. Vous verrez Mme la marquise Ferroni et l’abbé Niccolini ; parlez-leur de moi. Embrassez bien de ma part Monseigneur Cerati, à Pise ; et pour Turin, vous connoissez mon cœur, notre grand-prieur, MM. les marquis de Breil et de Saint-Germain. Si l'occa-

  1. Voyez la lettre CXXXI.