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LETTRES FAMILIÈRES.


matiques se pressent trop de nous juger ; il faudroit nous étudier un peu plus. Je serois bien curieux de voir les relations que certains ambassadeurs font à leurs cours sur nos affaires internes. J’ai appris ici que vous relevâtes fort à propos l’équivoque touchant la qualification de mauvais citoyen. Il faut pardonner à des ministres, souvent imbus des principes du pouvoir arbitraire, de n’avoir pas des notions bien justes sur certains points, et de hasarder des apophtegmes [1].

La Sorbonne cherche toujours à m’attaquer ; il y a deux ans qu’elle travaille, sans savoir guère comment s’y prendre. Si elle me fait mettre à ses trousses, je crois que j’achèverai de l’ensevelir [2]. J’en serois bien fâché, car j’aime la paix par-dessus toute chose. Il y a quinze jours que l’abbé Bonardi m’a envoyé un gros paquet pour mettre dans ma lettre pour vous ; comme je sais qu’il n’y a dedans que de vieilles rapsodies que vous ne liriez point, j’ai voulu vous épargner un port considérable ; ainsi je garde la lettre jusqu’à votre retour, ou jusqu’à ce que vous me mandiez de vous l’envoyer, en cas qu’il y ait autre chose que des nouvelles des rues. J’ai appris avec bien du plaisir tout ce que vous me mandez sur votre sujet ; les choses obligeantes que vous a dites l’Impératrice font honneur à son discernement, et les effets de

  1. Étant question de l'Esprit des Lois à un diner d’un ambassadeur, S. E. prononça qu’il le regardoit comme l’ouvrage d’un mauvais citoyen. « Montesquieu mauvais citoyen ! s’écria son ami ; pour moi je regarde l'Esprit des Lois même comme l’ouvrage d’un bon sujet ; car on ne sauroit donner une plus grande preuve d’amour et de fidélité à ses maîtres, que de les éclairer et les instruire. » (G.)
  2. Il venoit de paroitre un ouvrage intitulé : Le Tombeau de la Sorbonne, fait sous le nom de l’abbé de Prade. (G.)

    C’étoit l’œuvre de Voltaire.