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LETTRES FAMILIÈRES.



LETTRE CIV [1].

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A M. RISTEAU [2].


Les éloges flatteurs que vous donnez à mon livre, monsieur, me consolent un peu des critiques qu’il a essuyées. Mais je ne puis penser comme vous sur le despotisme. Un gouvernement qui est tout à la fois l’État et le prince vous paroît chimérique ; je pense, au contraire, qu’il est très-réel, et je crois l’avoir peint d’après la vérité.

Je ne sais pas si les sujets d’un despote ont des biens qui soient à eux ; je sais seulement qu’il ne peuvent avoir aucune vertu qui leur soit propre. La corruption et la misère arrivent de toutes parts dans les États où il règne.

Il y a aussi loin du despote au véritable roi que d’un démon à un ange. Il est vrai qu’il peut y avoir de grands abus dans la monarchie ; mais c’est lorsqu’elle se tourne en despotisme.

Je vous en dirai davantage lorsque je vous verrai à Bordeaux. Je n’ai que le temps de vous dire que je vous chéris autant que je vous estime.


Paris, ce 19 mai 1751.
  1. Tiré des Tablettes de Bordeaux, par Bernardau, in-12. Bordeaux, 1810.
  2. Sur M. Risteau, voyez mon Introduction à l’Esprit des Lois, t. III, p. XXXVIII.

    M. Risteau a eu une fille plus célèbre que lui, Mme Cottin, dont les romans ont eu tant de succès au commencement du siècle.

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