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LETTRES FAMILIÈRES.


LETTRE LXII.


AU MÊME.


Je vous demande pardon de vous avoir donné de fausses espérances de mon retour ; des affaires que j’ai ici m’ont empêché de partir comme je l’avois projeté. Je suis aussi en l’air que vous ; je serai pourtant au commencement de mars à Bordeaux. Faites, en attendant, bien ma cour à la charmante comtesse de Pontac, chez qui je crois que vous êtes à présent, et d’où j’espère que vous descendrez à Bordeaux, où nous disputerons politique et théologie. J’enverrai le livre à M. le Nain : je peux bien envoyer un roman [1] à un conseiller d’état ; à vous, il faut les Pensées de M. Pascal ; quoique dix-huit ou vingt dames, que le prince de Wurtemberg m’a dit que vous avez sur votre compte en Languedoc et en Provence, vous auront sans doute beaucoup changé, et rendu plus croyant touchant les aventures galantes [2] ; vous ferez comme cet hermite que le diable damna en lui montrant un petit soulier ; car je vous ai toujours vu enclin aux belles passions, et je suis persuadé que, dans votre dévotion, vous enragiez de bon

  1. Le Temple de Gnide, qu’il lui avoit fait demander. (GUASCO.)
  2. Ceci a l’apport à la difficulté que celui-ci montroit toujours à croire, lorsqu’on débitoit quelque aventure galante, soutenant qu’on étoit fort injuste à l’égard des femmes. Quelqu’un qui a beaucoup vécu avec ces deux amis, m’a dit que M. de Montesquieu le plaisantoit souvent là-dessus, lui donnant par cette raison le titre de protecteur du beau sexe. Disputant un jour ensemble avec quelque chaleur, au sujet d’un conte de galanterie qui couroit et que ce dernier s’efforçoit d’excuser, un de leurs amis communs entra, et M. de Montesquieu se tournant subitement vers lui : « Président, lui dit-il, voilà un abbé qui croit qu’on ne f... point. (G.)