Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t7.djvu/192

Cette page n’a pas encore été corrigée
174
PENSÉES DIVERSES.

La plupart des hommes sont plus capables de grandes actions que de bonnes.

Le peuple est honnête dans ses goûts, sans l’être dans ses mœurs. Nous voulons trouver des honnêtes gens, parce que nous voudrions qu’on le fût à notre égard.

La vanité des gens[1] est aussi bien fondée que celle que je prendrais sur une aventure arrivée aujourd’hui chez le cardinal de Polignac, où je dinais. Il a pris la main de l’aîné de la maison de Lorraine, le duc d’Elbœuf ; et après le dîner, quand le prince n’y a plus été, il me l’a donnée. Il me la donne à moi, c’est un acte de mépris ; il l’a prise au prince, c’est une marque d’estime. C’est pour cela que les princes sont si familiers avec leurs domestiques : ils [2] croient que c’est une faveur, c’est un mépris.

Les histoires sont des faits faux composés sur des faits vrais, ou bien à l’occasion des vrais.

D’abord les ouvrages donnent de la réputation à l’ouvrier, et ensuite l’ouvrier aux ouvrages.

Il faut toujours quitter les lieux un moment avant d’y attraper des ridicules. C’est l’usage du monde qui donne cela.

Dans les livres on trouve les hommes meilleurs qu’ils ne sont : amour-propre de l’auteur, qui veut toujours passer pour plus honnête homme en jugeant en faveur de la vertu. Les auteurs sont des personnages de théâtre.

Il faut regarder son bien comme son esclave, mais il ne faut pas perdre son esclave.

On ne saurait croire jusqu’où a été dans ce siècle la décadence de l’admiration.

  1. M. Ravenel veut qu’on lise : la vanité des gueux ; je crois qu’il se trompe. La vanité des gens veut dire la vanité des gens de service, des laquais.
  2. C’est-à-dire : les domestiques, les gens.