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PENSÉES DIVERSES.

Plus le poème de la Ligue[1] paraît être l’Énéide, moins il l’est.

Toutes les épithètes de J.-B. Rousseau disent beaucoup ; mais elle disent toujours trop, et expriment toujours au-delà.

Parmi les auteurs qui ont écrit sur l’histoire de France, les uns avaient peut-être trop d’érudition pour avoir assez de génie, et les autres trop de génie pour avoir assez d’érudition.

S’il faut donner le caractère de nos poètes, je compare Corneille à Michel-Ange, Racine à Raphaël, Marot au Corrége, La Fontaine au Titien, Despréaux au Dominiquin, Crébillon au Guerchin, Voltaire au Guide, Fontenelle au Bernin ; Chapelle, La Fare, Chaulieu au Parmesan ; Regnier au Georgion, La Motte à Rembrandt ; Chapelain est au-dessous d’Albert Durer. Si nous avions un Milton, je le comparerais à Jules Romain ; si nous avions le Tasse, nous le comparerions au Carrache ; si nous avions l’Arioste, nous ne le comparerions à personne, parce que personne ne peut lui être comparé.

Un honnête homme (M. Rollin) a, par ses ouvrages d’histoire, enchanté le public. C’est le cœur qui parle au cœur ; on sent une secrète satisfaction d’entendre parler la vertu : c’est l’abeille de la France.

Je n’ai guère donné mon jugement que sur les auteurs que j’estimais, n’ayant guère lu, autant qu’il m’a été possible, que ceux que j’ai crus les meilleurs.

On parlait devant Montesquieu du roman de Don Quichotte. « Le meilleur livre des Espagnols, dit-il, est celui qui se moque de tous les autres[2]. »

  1. Premier titre de la Henriade.
  2. Lettres persanes, LXXVIII.