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PENSÉES DIVERSES.

Ce qui m’a toujours beaucoup nui, c’est que j’ai toujours méprisé ceux que je n’estimais pas.

Je n’ai pas laissé, je crois, d’augmenter mon bien ; j’ai fait de grandes améliorations à mes terres ; mais je sentais que c’était plutôt pour une certaine idée d’habileté que cela me donnait, que pour l’idée de devenir plus riche.

En entrant dans le monde, on m’annonça comme un homme d’esprit, et je reçus un accueil assez favorable des gens en place ; mais lorsque par le succès des Lettres persanes j’eus peut-être prouvé que j’en avais, et que j’eus obtenu quelque estime de la part du public, celle des gens en place se refroidit ; j’essuyai mille dégoûts. Comptez qu’intérieurement blessés de la réputation d’un homme célèbre, c’est pour s’en venger qu’ils l’humilient, et qu’il faut soi-même mériter beaucoup d’éloges pour supporter patiemment l’éloge d’autrui.

Je ne sache pas encore avoir dépensé quatre louis par air, ni fait une visite par intérêt. Dans ce que j’entreprenais, je n’employais que la prudence commune, et j’agissais moins pour ne pas manquer les affaires que pour ne pas manquer aux affaires.

Je ne me consolerais point de n’avoir pas fait fortune, si j’étais né en Angleterre ; je ne suis point fâché de ne l’avoir pas faite en France.

J’avoue que j’ai trop de vanité pour souhaiter que mes enfants fassent un jour une grande fortune : ce ne serait qu’à force de raison qu’ils pourraient soutenir l’idée de moi ; ils auraient besoin de toute leur vertu pour m’avouer ; ils regarderaient mon tombeau comme le monument de leur honte. Je puis croire qu’ils ne le détruiraient pas de leurs propres mains ; mais ils ne le relèveraient pas sans