Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t7.djvu/169

Cette page n’a pas encore été corrigée
151
PENSÉES DIVERSES.

cher à des femmes que j’ai cru qui m’aimaient ; dès que j’ai cessé de le croire, je m’en suis détaché soudain.

L’étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé.

Je m’éveille le matin avec une joie secrète de voir la lumière ; je vois la lumière avec une espèce de ravissement ; et tout le reste du jour je suis content. Je passe la nuit sans m’éveiller ; et le soir, quand je vais au lit, une espèce d’engourdissement m’empêche de faire des réflexions.

Je suis presque aussi content avec des sots qu’avec des gens d’esprit ; car il y a peu d’hommes si ennuyeux qui ne m’aient amusé ; très-souvent il n’y a rien de si amusant qu’un homme ridicule.

Je ne hais pas de me divertir en moi-même des hommes que je vois, sauf à eux à me prendre à leur tour pour ce qu’ils veulent.

J’ai eu d’abord pour la plupart des grands une crainte puérile ; dès que j’ai eu fait connaissance, j’ai passé presque sans milieu jusqu’au mépris.

J’ai assez aimé à dire aux femmes des fadeurs, et à leur rendre des services qui coûtent si peu.

J’ai eu naturellement de l’amour pour le bien et l’honneur de ma patrie, et peu pour ce qu’on appelle la gloire ; j’ai toujours senti une joie secrète lorsqu’on a fait quelque règlement qui allait au bien commun.

Quand j’ai voyagé dans les pays étrangers, je m’y suis attaché comme au mien propre, j’ai pris part à leur fortune, et j’aurais souhaité qu’ils fussent dans un état florissant.

J’ai cru trouver de l’esprit à des gens qui passaient pour n’en point avoir.