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SUR LE GOUT

doivent toujours ajouter quelque chose, faire voir la chose plus grande, ou, s’il ne s’agit pas de grandeur, plus fine et plus délicate ; mais il faut bien se donner de garde de montrer à l’âme un rapport dans le bas, car elle se le serait caché si elle l’avait découvert.

Comme il s’agit de montrer des choses fines, l’âme aime mieux voir comparer une manière à une manière, une action à une action, qu’une chose à une chose. Comparer en général un homme courageux à un lion, une femme à un astre, un homme léger à un cerf, cela est aisé[1] ; mais lorsque La Fontaine commence ainsi une de ses fables :

Entre les pattes d’un lion
Un rat sortit de terre assez à l’étourdie :
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu’il était, et lui donna la vie[2].

il compare les modifications de l’âme du roi des animaux avec les modifications de l’âme d’un véritable roi.

Michel-Ange est le maître pour donner de la noblesse à tous ses sujets. Dans son fameux Bacchus, il ne fait point comme les peintres de Flandres qui nous montrent une figure tombante, et qui est, pour ainsi dire, en l’air. Cela serait indigne de la majesté d’un dieu. Il le peint ferme sur ses jambes ; mais il lui donne si bien la gaieté de l’ivresse, et le plaisir à voir couler la liqueur qu’il verse dans sa coupe, qu’il n’y a rien de si admirable.

Dans la Passion, qui est dans la galerie de Florence, il a peint la Vierge debout, qui regarde son fils crucifié, sans

  1. Encyclopédie : une chose à une chose : comme un héros à un lion, une femme à un astre et un homme léger à un cerf. Cela est aisé ; mais lorsque La Fontaine, etc.
  2. Livre II, fable ii.