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ESSAI


DES BEAUTÉS QUI RÉSULTENT D’UN CERTAIN
EMBARRAS DE L’AME.


Souvent la surprise vient à l’âme de ce qu’elle ne peut pas concilier ce qu’elle voit avec ce qu’elle a vu. Il y a en Italie un grand lac qu’on appelle le Lac Majeur, il Lago Maggiore : c’est une petite mer dont les bords ne montrent rien que de sauvage. A quinze milles dans le lac sont deux îles d’un quart de lieue de tour, qu’on appelle les « Borromées », qui sont, à mon avis, le séjour du monde le plus enchanté. L’âme est étonnée de ce contraste romanesque, de rappeler avec plaisir les merveilles des romans, où, après avoir passé par des rochers et des pays arides, on se trouve dans un lieu fait pour les fées.

Tous les contrastes nous frappent, parce que les choses en opposition se relèvent toutes les deux : ainsi, lorsqu’un petit homme est auprès d’un grand, le petit fait paraître l’autre plus grand, et le grand fait paraître l’autre plus petit.

Ces sortes de surprises font le plaisir que l’on trouve dans toutes les beautés d’opposition, dans toutes les antithèses et figures pareilles. Quand Florus dit : « Sore et Algide (qui le croirait ?) nous ont été formidables ; Satrique et Cornicule étaient des provinces ; nous rougissons des Boriliens et des Véruliens, mais nous en avons triomphé ; enfin Tibur, notre faubourg ; Préneste, où sont nos maisons de plaisance, étaient le sujet des vœux que nous allions faire au Capitole[1] » ; cet auteur, dis-je, nous montre en même temps la grandeur de Rome et la petitesse

  1. Florus, lib. I, c. x.