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SUR LE GOUT

met en liberté devient une grâce ; et telle est la sagesse de la nature, que ce qui ne serait rien sans la loi de la pudeur, devint d’un prix infmi depuis cette heureuse loi, qui fait le bonheur de l’univers.

Comme la gêne et l’affectation ne sauraient nous surprendre, les grâces ne se trouvent ni dans les manières gênées ni dans les manières affectées, mais dans une certaine liberté ou facilité qui est entre les deux extrémités ; et l’âme est agréablement surprise de voir que l’on a évité les deux écueils. Il semblerait que les manières naturelles devraient être les plus aisées : ce sont celles qui le sont le moins ; car l’éducation, qui nous gêne, nous fait toujours perdre du naturel : or nous sommes charmés de le voir revenir.

Rien ne nous plaît tant dans une parure que lorsqu’elle est dans cette négligence ou même dans ce désordre qui nous cache tous les soins que la propreté n’a pas exigés, et que la seule vanité aurait fait prendre ; et l’on n’a jamais de grâce dans l’esprit que lorsque ce que l’on dit est trouvé[1] et non pas recherché.

Lorsque vous dites des choses qui vous ont coûté, vous pouvez bien faire voir que vous avez de l’esprit, et non pas des grâces dans l’esprit. Pour le faire voir, il faut que vous ne le voyiez pas vous-même, et que les autres, à qui d’ailleurs quelque chose de naïf et de simple en vous ne promettait rien de cela, soient doucement surpris de s’en apercevoir.

Ainsi les grâces ne s’acquièrent point : pour en avoir, il faut être naïf. Mais comment peut-on travailler à être naïf ?

  1. Encyclopédie : paraît trouvé et non pas recherché.