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ESSAI

encore, par la seule raison qu’elle nous a plu, parce que nous joignons l’ancienne idée à la nouvelle. Ainsi une actrice qui nous a plu sur le théâtre, nous plaît encore dans la chambre ; sa voix, sa déclamation, le souvenir de l’avoir vu admirer, que dis-je ? l’idée de la princesse, jointe à la sienne : tout cela fait une espèce de mélange qui forme et produit un plaisir.

Nous sommes tous pleins d’idées accessoires. Une femme qui aura une grande réputation et un léger défaut pourra le mettre en crédit, et le faire regarder comme une grâce. La plupart des femmes que nous aimons n’ont pour elles que la prévention sur leur naissance ou leurs biens, les honneurs ou l’estime de certaines gens.


AUTRE EFFET DES LIAISONS QUE L’AME MET AUX CHOSES
AUX CHOSES[1].


Nous devons à la vie champêtre que l’homme menait dans les premiers temps, cet air riant répandu dans toute la Fable ; nous lui devons ces descriptions heureuses, ces aventures naïves, ces divinités gracieuses, ce spectacle d’un état assez différent du nôtre pour le désirer, et qui n’en est pas assez éloigné pour choquer la vraisemblance, enfin ce mélange de passions et de tranquillité. Notre imagination rit à Diane, à Pan, à Apollon, aux nymphes, aux bois, aux prés, aux fontaines. Si les premiers hommes avaient vécu comme nous dans les villes, les poëtes n’auraient pu nous décrire que ce que nous voyons tous les jours avec inquiétude ou que nous sentons avec dégoût ; tout respirerait l’avarice, l’ambition, et les passions qui tourmentent.

  1. Ce paragraphe ne se trouve pas dans l’Encyclopédie.