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ESSAI

cessation de la part des esprits, qui ne coulent plus, ou qui se dissipent des lieux où ils ont coulé.

Ainsi tout nous fatigue à la longue, et surtout les grands plaisirs : on les quitte toujours avec la même satisfaction qu’on les a pris ; car les fibres qui en ont été les organes ont besoin de repos ; il faut en employer d’autres plus propres à nous servir, et distribuer pour ainsi dire le travail.

Notre âme est lasse de sentir ; mais ne pas sentir, c’est tomber dans un anéantissement qui l’accable. On remédie à tout, en variant ses modifications ; elle sent, et elle ne se lasse pas.


DES PLAISIRS DE LA SURPRISE.


Cette disposition de l’âme, qui la porte toujours vers différents objets, fait qu’elle goule tous les plaisirs qui viennent de la surprise : sentiment qui plaît à l’âme par le spectacle et par la promptitude de l’action ; car elle aperçoit ou sent une chose qu’elle n’attend pas, ou d’une manière qu’elle n’attendait pas.

Une chose peut nous surprendre comme merveilleuse, mais aussi comme nouvelle, et encore comme inattendue ; et, dans ces derniers cas, le sentiment principal se lie à un sentiment accessoire, fondé sur ce que la chose est nouvelle ou inattendue.

C’est par là que les jeux de hasard nous piquent ; ils nous font voir une suite continuelle d’événements non attendus ; c’est par là que les jeux de société nous plaisent ; ils sont encore une suite d’événements imprévus, qui ont pour cause l’adresse jointe au hasard.

C’est encore par là que les pièces de théâtre nous plai-