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ESSAI

bâtiment avec une aile, ou une aile plus courte qu’une autre, est aussi peu fini qu’un corps avec un bras, ou avec un bras trop court.


DES CONTRASTES.


L’âme aime la symétrie, mais elle aime aussi les contrastes ; ceci demande bien des explications.

Par exemple, si la nature demande des peintres et des sculpteurs qu’ils mettent de la symétrie dans les parties de leurs figures, elle veut au contraire qu’ils mettent des contrastes dans les attitudes. Un pied rangé comme un autre, un membre qui va comme un autre, sont insupportables : la raison en est que cette symétrie fait que les attitudes sont presque toujours les mêmes, comme on le voit dans les figures gothiques, qui se ressemblent toutes par là. Ainsi il n’y a plus de variété dans les productions de l’art. De plus, la nature ne nous a pas situés ainsi ; et, comme elle nous a donné du mouvement, elle ne nous a pas ajustés dans nos actions et nos manières comme des pagodes[1] : et, si les hommes gênés et contraints sont insupportables, que sera-ce des productions de l’art ?

Il faut donc mettre des contrastes dans les attitudes, surtout dans les ouvrages de sculpture, qui, naturellement froide, ne peut mettre de feu que par la force du contraste et de la situation.

Mais, comme nous avons dit que la variété que l’on a cherché à mettre dans le gothique lui a donné de l’uniformité, il est souvent arrivé que la variété que l’on a cherché

  1. Des idoles indiennes ou chinoises.