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SUR LE GOUT

vons belle, vient de la surprise ; il suffit qu’elle nous surprenne, et qu’elle nous surprenne autant qu’elle le doit, ni plus ni moins.

Ainsi ce que nous pourrions dire ici, et tous les préceptes que nous pourrions donner pour former le goût, ne peuvent regarder que le goût acquis, c’est-à-dire ne peuvent regarder directement que ce goût acquis, quoiqu’ils regardent encore indirectement le goût naturel ; car le goût acquis affecte, change, augmente et diminue le goût naturel, comme le goût naturel affecte, change, augmente et diminue le goût acquis.

La définition la plus générale du goût, sans considérer s’il est bon ou mauvais, juste ou non, est ce qui nous attache à une chose par le sentiment ; ce qui n’empêche pas qu’il ne puisse s’appliquer aux choses intellectuelles, dont la connaissance fait tant de plaisir à l’âme, qu’elle était la seule félicité que de certains philosophes pussent comprendre. L’âme connaît par ses idées et par ses sentiments[1] ; car, quoique nous opposions l’idée au sentiment, cependant, lorsqu’elle voit une chose, elle la sent ; et il n’y a point de choses si intellectuelles qu’elle ne voie ou qu’elle ne croie voir, et par conséquent qu’elle ne sente.


DE L’ESPRIT EN GÉNÉRAL.

L’esprit est le genre qui a sous lui plusieurs espèces : le génie, le bon sens, le discernement, la justesse, le talent et le goût.

L’esprit consiste à avoir les organes bien constitués,

  1. L’Encyclopédie ajoute : Elle reçoit des plaisirs par ces idées et par ces sentiments ; car, etc.