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ÉLOGE

projets, perdît tout cela quand il s’agissoit de ses intérêts particuliers…

Il n’étoit point du nombre de ceux qui tantôt se plaignent des auteurs d’une disgrâce, tantôt cherchent à les flatter ; il alloit à celui dont il avoit sujet de se plaindre, lui disoit les sentiments de son cœur, après quoi il ne disoit rien…

Jamais rien n’a mieux représenté cet état où l’on sait que se trouva la France à la mort de M. de Turenne. Je me souviens du moment où cette nouvelle arriva : la consternation fut générale. Tous deux ils avoient laissé des desseins interrompus ; tous les deux une armée en péril ; tous les deux finirent d’une mort[1] qui intéresse plus que les morts communes : tous les deux avoient ce mérite modeste pour lequel on aime à s’attendrir, et que l’on aime à regretter.

Il laissa une femme tendre, qui a passé le reste de sa vie dans les regrets, et des enfants qui par leurs vertus font mieux que moi l’éloge de leur père.

M. le maréchal de Berwick a écrit ses mémoires ; et, à cet égard, ce que j’ai dit dans l’Esprit des Lois (liv. XXI, chapitre ii) sur la relation d’Hannon[2], je puis le redire ici : « C’est un beau morceau de l’antiquité que la relation d’Hannon : le même homme qui a exécuté a écrit. Il ne met aucune ostentation dans ses récits : les grands capitaines écrivent leurs actions avec simplicité, parce qu’ils sont plus glorieux de ce qu’ils ont fait que de ce qu’ils ont dit. »

Les grands hommes sont plus soumis que les autres à

  1. var. Tous les deux une mort qui intéresse plus que les morts communes, tous les deux avec ce mérite modeste, etc.
  2. var. Ce que j’ai dit ailleurs de la relation d’Hannon, etc.