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ACADÉMIQUES

Il aimoit les gens de mérite : il les chercha ordinairement parmi les gens d’esprit, mais il se trompa quelquefois. Dans sa jeunesse, son goût fut uniquement pour les belles-lettres : et il ne se borna pas à admirer les ouvrages des autres, il attrapoit surtout le style marotique. Il y a de lui quelques petits ouvrages de cette espèce qu’il fit dans cette province, et dans un temps où le peu de goût qu’on avoit pour les lettres empêchoit de soupçonner un grand seigneur de s’y appliquer.

Bientôt il découvrit en lui un goût plus dominant pour les sciences et pour les arts ; ce goût devint une véritable passion, et cette passion ne l’a jamais quitté.

Outre les sciences qui sont uniquement du ressort de la mémoire, il s’attacha à celles pour lesquelles le génie seul est un instrument propre, à celles où un esprit doit pénétrer, où il doit agir, où il doit créer.

La facilité du génie de M. le duc de la Force étoit admirable : ce qu’il disoit valoit toujours mieux que ce qu’il avoit appris. Les savants qui l’entendoient ambitionnoient de savoir ce qu’il ne savoit que comme eux. Il montroit les choses, et il en cachoit tout l’art : on sentoit bien qu’il avoit appris sans peine.

La nature, qui semble avoir borné chaque homme à chaque emploi, produit rarement des esprits universels : pour M. le duc de la Force, il étoit tout ce qu’il vouloit être ; et, dans cette variété qu’il offroit toujours, vous ne saviez si ce que vous trouviez en lui étoit un génie plus étendu, ou une plus grande multiplicité de talents.

M. le duc de la Force portoit surtout un esprit d’ordre et de méthode. Ses vues étoit toujours simples et générales : c’est ce qui lui fit saisir un plan nouveau, dont les grands esprits, par une certaine fatalité, furent plus éblouis que