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DE L’ESPRIT DES LOIS.


suivi le comte [1], payoit une composition de soixante sous [2], et étoit mis en servitude jusqu’à ce qu’il l’eût payée.

Il est donc aisé de penser que les Francs, qui n’étoient point vassaux du roi, et encore plus les Romains, cherchèrent à le devenir ; et qu’afin qu’ils ne fussent pas privés de leurs domaines, on imagina l’usage de donner son aleu au roi, de le recevoir de lui en fief, et de lui désigner ses héritiers. Cet usage continua toujours ; et il eut surtout lieu dans les désordres de la seconde race, où tout le monde avoit besoin d’un protecteur, et vouloit faire corps avec d’autres seigneurs [3], et entrer, pour ainsi dire, dans la monarchie féodale, parce qu’on n’avoit plus la monarchie politique.

Ceci continua dans la troisième race, comme on le voit par plusieurs Chartres [4] ; soit qu’on donnât son aleu, et, qu’on le reprît par le même acte ; soit qu’on le déclarât aleu, et qu’on le reconnût en fief. On appeloit ces fiefs, fiefs de reprise.

Cela ne signifie pas que ceux qui avoient des fiefs les gouvernassent en bons pères de famille ; et, quoique les hommes libres cherchassent beaucoup à avoir des fiefs, ils traitoient ce genre de biens comme on administre aujourd’hui les usufruits. C’est ce qui fit faire à Charlemagne, prince le plus vigilant et le plus attentif que nous ayons eu, bien des règlements, pour empêcher qu’on ne dégra-

  1. Capitulaire de Charlemagne, qui est le second de l’an 812, art. 1 et 3. (M.)
  2. Heribannum. (M.)
  3. Non infirmis reliquit hœredibus, dit Lambert d’Ardres, dans du Gange, au mot alodis. (M.)
  4. Voyez celles que du Cange cite au mot alodis ; et celles que rapporte Galland, Traité du franc-aleu, p. 14 et suiv. (M.)