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A SAURIN.


fort ou du plus fripon, ce seroit un terrible remède que la conquête pour nous en débarrasser. C’est cependant l’unique moyen, si la voix des sages se mêle à l’intérêt des puissances, pour les ériger en propriétés légitimes. Et quelles propriétés que celles d’un petit nombre, nuisibles à tous, à ceux mêmes qui les possèdent, et qu’elles corrompent par l’orgueil et la vanité ? En effet, si l’homme n’est heureux que par des vertus et par des lumières qui en assurent le principe, quelles vertus et quels talents attendre d’un ordre d’hommes qui jouissent de tout et peuvent prétendre à tout dans la société par le seul privilège de leur naissance ? Le travail de la société ne se fera que pour eux ; toutes les places lucratives et honorables leur seront dévolues ; le souverain ne gouvernera que par eux, et ne tirera des subsides de ses sujets que pour eux. N’est-ce pas là bouleverser toutes les idées du bon sens et de la justice ? C’est cet ordre abominable qui fausse tant de bons esprits, et dénature parmi nous tous les principes de morale publique et particulière.

L’esprit de corps nous envahit de toutes parts. Sous le nom de corps, c’est un pouvoir qu’on érige aux dépens de la grande société. C’est par des usurpations héréditaires que nous sommes gouvernés. Sous le nom de François, il n’existe que des corporations d’individus, et pas un citoyen qui mérite ce titre. Les philosophes eux-mêmes voudroient former des corporations ; mais, s’ils flattent l’intérêt particulier aux dépens de l’intérêt commun, je le prédis, leur règne ne sera pas long. Les lumières qu’ils auront répandues éclaireront tôt ou tard les ténèbres dont ils envelopperont les préjugés ; et notre ami Montesquieu, dépouillé de son titre de sage et de législateur, ne sera plus qu’homme de robe, gentilhomme