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LETTRE D’HELVÉTIUS


m’avez vivement intéressé pour cet ouvrage à la Brède. Je n’en connoissois pas l’ensemble. Je ne sais si nos têtes françoises seront assez mûres pour en saisir les grandes beautés ; pour moi, elles me ravissent. J’admire l’étendue du génie qui les a créées, et la profondeur des recherches auxquelles il a fallu vous livrer pour faire sortir la lumière de ce fatras de lois barbares, dont j’ai toujours cru qu’il y avoit si peu de profit à tirer pour l’instruction et le bonheur des hommes. Je vous vois, comme le héros de Milton, pataugeant au milieu du chaos, sortir victorieux des ténèbres. Nous allons être, grâce à vous, bien instruits de l’esprit des législations grecques, romaines, vandales et wisigothes ; nous connoîtrons le dédale tortueux au travers duquel l’esprit humain s’est traîné pour civiliser quelques malheureux peuples opprimés par des tyrans ou des charlatans religieux. Vous nous dites : Voilà le monde, comme il s’est gouverné, et comme il se gouverne encore. Vous lui prêtez souvent une raison et une sagesse qui n’est au fond que la vôtre, et dont il sera bien surpris que vous lui fassiez les honneurs.

Vous composez avec le préjugé comme un jeune homme, entrant dans le monde, en use avec les vieilles femmes qui ont encore des prétentions, et auprès desquelles il ne veut qu’être poli et paroître bien élevé. Mais aussi ne les flattez-vous pas trop ? Passe pour les prêtres. En faisant leur part de gâteau à ces cerbères de l’Église, vous les faites taire sur votre religion ; sur le reste, ils ne vous entendront pas. Nos robins ne sont en état ni de vous lire, ni de vous juger. Quant aux aristocrates et à nos despotes de tout genre, s’ils vous entendent, ils ne doivent pas trop vous en vouloir : c’est le reproche que j’ai toujours fait à vos principes. Souvenez-vous qu’en les discu-