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DE L’ESPRIT DES LOIS.

Oui, Spinosa le dit et a raison de le dire. Tout le monde l’a dit avant et après lui.

Si c’est là être spinosiste, tout bon citoyen, tout bon chrétien doit être spinosiste. Plus haut, les gazetiers blàmoient les princes qui défendent de dogmatiser : ici ils blâment ceux qui permettent de raisonner.

Les critiques « sont fâchés de trouver dans l'Esprit des Lois de ces traits qui décèlent un auteur ».

Et je suis fâché, moi, de m’îêtre donné la peine d’examiner un libelle, dont les auteurs ne se sont pas seulement donné celle de masquer tant soit peu l’extrême bonté de leur caractère.

Il a paru d’autres critiques de l'Esprit des Lois ; mais elles sont sitôt retombées dans le néant, qu’on peut dire qu’elles ont été publiques incognito. J’excepte de ce nombre une petite pièce de vers qui parut dans la primeur [1]. Elle est jolie, elle a été lue parce qu’elle est élégamment écrite. On la lit encore, parce que tel est le charme et le pouvoir de la poésie, qu’avec l’habitude de déraisonner elle a le privilège de conserver l’existence à la déraison. Elle a décidé ceux qui, incapables de lire l'Esprit des Lois aiment qu’on venge leur amour-propre, et qu’on médise de tout livre qu’ils n’entendent pas. Ne soyons point séduits du brillant de cette épître analytique : voyons si la raison n’y est pas sacrifiée à l’attrait du paradoxe, à la légèreté de l’expression, et si l’erreur n’y paroît pas sous l'habit des Grâces, de ces Grâces dont les mains ne devroient parer que la vérité et la vertu :

Avez-vous lu l'Esprit des Lois :
Que pensez-vous de cet ouvrage ?

  1. V. sup. p. 245 et la note.