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SUITE DE LA DÉFENSE

M. de M... l’a mieux réfuté en deux pages que Jaquelot, Saurin, Le Clerc, en plusieurs volumes. J’ajouterois Jurieu, s’il n’y avoit une espèce d’indécence à comparer le théologien le plus fougueux au philosophe le plus modéré.

À propos de Jurieu, il me vient une idée qui se lie à mon sujet. Bayle, flétrissant la religion, étoit un grand homme et un mauvais logicien ; Jurieu, défendant la religion, étoit bon logicien et homme abominable : c’est que l’un avoit des talents et l’autre de la malice ; c’est qu’on est grand par l’esprit, et abominable par le cœur. N’allez pas croire, ami lecteur, que je veuille vous insinuer que les gazetiers ecclésiastiques soient des Jurieu : Jurieu avoit du mérite.

Il en est de Bayle comme de César, dont on admire les conquêtes, et dont on déteste l’ambition. On applaudit au talent, on en déplore l’abus. Le monde littéraire a ses héros comme le monde politique ; et ces héros ne sont guère plus vertueux dans l’un que dans l’autre.

Il falloit du génie, et un grand génie, pour attaquer la religion chrétienne, qui est si bien prouvée, pour rétablir le pyrrhonisme foudroyé, pour ramener toujours avec art les mêmes objections, pour montrer sous un nouveau jour les mêmes principes, pour rallier contre la vérité des troupes qu’on croyoit exterminées depuis plus de mille ans.

C’est dans ces qualités que M. de M... a trouvé de la grandeur ; et cette grandeur ne l’a point ébloui ni découragé ; il a réfuté Bayle, et l’a réfuté avec succès. Un théologien traite ordinairement son ennemi de petit homme ; un philosophe tel que l’auteur de l'Esprit des Lois admire un illustre adversaire, le plaint, l’attaque, et en