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SUITE DE LA DÉFENSE


aux eunuques ? Les eunuques sont à plaindre, les moines sont méprisables. Aussi la nature dédommage-t-elle les premiers, et fait-elle le supplice des seconds.

Portons, par plaisir, le flambeau du calcul sur les suites du dogme du célibat. Suivant les observations les plus exactes, un État qui ne souffrirait ni pestes, ni guerres, ni famine durant soixante années, doublerait dans cet espace le nombre de ses citoyens. Cela posé, tout État qui a cent mille moines dans son sein perd tous les soixante ans deux cent mille hommes, et un bien plus grand nombre s’il entretient toujours sur pied ce nombre de cent mille. Ainsi, en supposant que depuis l’année 1690 il y a eu en France deux millions d’âmes qui aient fait vœu de célibat, cet empire a perdu et ces deux millions, qui lui ont été inutiles durant leur vie, et quatre millions qui seroient nés d’eux dans l’espace de cent vingt ans, et deux millions qui seroient provenus des enfants des premiers depuis l’année 1690 jusqu’à cette année 1750, et deux millions qui proviendraient des enfants des deux derniers millions depuis cette année 1750 jusqu’à l’année 1810. Somme totale : dix millions ; perte immense, mais réelle : 1° parce que les deux millions sur lesquels je bâtis peuvent raisonnablement, supposés à l’abri des malheurs de la peste, de la guerre, de la famine, propager en toute sûreté ; 2° parce qu’il s’ensuit que la France n’ayant que vingt millions d’âmes, et devant en avoir en 1810 trente millions, sans l’obstacle du célibat, elle perd le tiers de ses forces, puisqu’elle pouvoit acquérir ce tiers. Soyez à présent étonné que des États, jadis extrêmement peuplés, soient aujourd’hui dégarnis.

Jetez un coup d’œil sur le nombre infini d’hommes qui se sont voués au célibat depuis deux siècles. Supputez