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DE L’ESPRIT DES LOIS.


de tous, contre lequel vous avez sans cesse à lutter.

L’homme, plus aisé à frapper que capable de raisonner, a attaché de la grandeur à ce qui est difficile. Voilà la source de l'erreur qui fait du célibat un état de perfection. Que le sort de tant de milliers d’hommes ne tienne qu’à un sophisme ! n’y a-t-il pas de quoi déplorer le malheur de la condition humaine ? Si un de mes aïeux avoit mal raisonné, la chaîne se seroit rompue, je ne serois pas au monde ! Réflexion qui devroit réunir contre le célibat tous ceux qui jouissent de l’existence, et qui en connoissent le prix.

« Lorsqu’on fit la loi du célibat pour un certain ordre de gens, il en fallut chaque jour de nouvelles pour réduire les hommes à l’observation de celle-ci : le législateur se fatigua. Il fatigua la société pour faire exécuter aux hommes par précepte ce que ceux qui aiment la perfection auroient exécuté comme conseil [1]. » — Point de réponse. »

La réponse étoit toute faite : elle est tout entière dans le passage attaqué. Falloit-il se mettre en frais de citations et de raisonnements pour prouver un fait historique que tout le monde sait, un fait encore existant ?

Le célibat fatigue la société : en doutez-vous ? Voyez l’embonpoint de l’Angleterre et de la Hollande, et l’éthisie de l’Italie et de l’Espagne ; la vigueur de l’Allemagne protestante et le dépérissement de l’Allemagne catholique. N’est-ce pas fatiguer la société que de l’épuiser ?

Le dogme de la perfection du célibat a produit en Europe les mêmes effets de la destruction que la chaleur du climat, la jalousie du maître, l’esclavage des femmes, ont produit en Asie. Les moines, qu’ont-ils à reprocher

  1. Esprit des Lois, Iiv. XXIV, ch. VII.