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DE L’ESPRIT DES LOIS.


effets, est un zèle aveugle ; et un zèle aveugle est-il louable ? Le sage n’accorde son estime qu’à un zèle éclairé ; c’est-à-dire, qu’il la refuse à presque tous les zélés. Il est si peu de vérités qui nous soient assez démontrées, pour justifier notre zèle ! et les zélés sont si peu délicats sur le choix des moyens pour étendre leurs opinions !

Le zèle est louable, dit-on, en ce qu’il a pour objet de plaire à la Divinité.

Cette maxime canonise le fanatisme et l’enthousiasme, toutes les erreurs qu’ils enfantent, et toutes les horreurs qu’ils produisent. Qui arme le bras du persécuteur ? c’est le zèle. Qui inspire à Clément et à Ravaillac le dessein d’assassiner deux de nos rois, et le courage d’exécuter ce dessein ? c’est le zèle. Qui détrône les souverains, qui renverse les États, qui rompt les liens de la société, qui étouffe les sentiments de la nature, qui éteint les lumières de la raison ? C’est le zèle encore. Le zèle est un dogue qui dévore tout ce qui se présente à lui ; il faut enchaîner ce dogue, de peur qu’il ne se jette sur ses maîtres mêmes.

L’indifférence n’a fait aucun mal au monde ; elle caractérise le sage ; qui sait, qu’il est aisé de connoître les abus et difficile d’y remédier, aisé de faire le bien, et difficile de le bien faire, aisé de trouver la vérité, et difficile d’ôter aux moyens de la répandre la teinture de nos passions.

En tous pays, dans tous les siècles, l’objet du zèle a été de plaire à la Divinité ; en tout pays, dans tous les siècles, l’effet du zèle a été de déplaire à la Divinité. Et lui plairoit-on en vengeant l’erreur par le crime, à la manière de l’intolérant, ou en détruisant la vertu par la chimère, à la manière du mystique ?

Quel est le zèle louable ? celui qui se borne à nous-mêmes. Sévères pour nous, soyons indulgents pour nos