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DE L’ESPRIT DES LOIS.


tendu attribuer au monarque le même droit de dispenser des lois morales, que celui que la cour de Rome fait valoir avec tant de succès, c’est se forger des monstres pour les combattre.

« La vertu n’est point nécessaire dans le gouvernement despotique ; et l’honneur y seroit dangereux. Point de réponse. »

Il étoit aisé de se convaincre de la vérité de cette maxime en jetant un coup d’œil sur le gouvernement despotique. Le peuple y est esclave ; les grands et les petits n’y sont que des marionnettes que le machiniste fait mouvoir à son gré. Loin qu’il leur soit permis de choisir, d’agir à leur fantaisie, il ne leur est presque pas permis de vouloir. Ainsi, non-seulement la vertu n’est point nécessaire dans l’État, mais encore il est nécessaire qu’il n’y en ait point. Le despote a bien affaire d’un sujet qui opposera à ses lois les lois de l’honneur, qui balancera entre l’obéissance et le devoir, qui sera tantôt entraîné par la crainte, tantôt emporté par la gloire ! Il lui faut des sujets, qui soumettent leur être à ses volontés, qui tremblent à son aspect, qu’un mot élève, qu’un clin d’œil anéantisse, qui l’adorent comme une Divinité, qui regardent comme le premier de leurs devoirs une obéissance aveugle à ses ordres les plus contradictoires, qui bénissent leur trépas quand il l’a prononcé ; en un mot, des sujets imbéciles. Permettez pour un moment à l’honneur et à la vertu un libre accès dans l’État despotique, cet État deviendra monarchique ou républicain : monarchique si l’amour de la gloire l’emporte, républicain si l’amour de la patrie gagne le dessus ; le despote tombera parce que son trône sera sapé par les fondements. Ces deux causes, l’honneur et la vertu, mises en action, produiront des