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DE L’ESPRIT DES LOIS.


qui sont en si grand nombre aux Indes. Il voudroit que les lois cherchassent à ôter tous les moyens de vivre sans travail. « Mais, dit-il, dans le midi de l’Europe elles font tout le contraire. Elles donnent à ceux qui veulent être oisifs, des places propres à la vie spéculative, et y attachent des richesses immenses. » Remarquez que l'auteur met sur la même ligne tous les moines, de quelque religion qu’ils soient : chrétiens, musulmans, idolâtres. On reconnoît à ce trait la main qui a écrit les Lettres Persanes. Mais autant l’auteur est sévère contre les moines, dont il veut que les lois vainquent la paresse malgré la nature du climat, autant il est indulgent pour les Anglois qui se tuent de sens froid. « Il est clair, dit-il, que les lois civiles de quelques pays peuvent avoir eu des raisons pour flétrir l’homicide de soi-même ; mais en Angleterre on ne peut pas plus le punir qu’on punit les effets de la démence (livre XIV, chapitre XII) ; » c’est que chez les Anglois, selon l’auteur, l’homicide de soi-même « est l’effet d’une maladie ; cette action tient à l’état physique de la machine, et est indépendante de toute autre cause ». Un sectateur de la religion naturelle n’oublie pas que l’Angleterre est le berceau de sa secte. Il passe l’éponge sur tous les crimes qu’il y aperçoit. L’auteur finit le quatorzième livre comme il l'a commencé. Après avoir dit du peuple des Indes qu’il est doux, tendre, compatissant, il s’écrie : « Heureux climat, qui fait nattre la candeur des mœurs, et produit la douceur des lois ! » C’est le climat qui donne les bonnes mœurs ! l’auteur ne s’élève pas plus haut. Cependant les Indiens sont idolâtres, dissolus à l’excès ; et leurs lois obligent leurs femmes de se brûler avec le corps de leurs maris : « Heureux climat, qui fait naître la candeur des mœurs, et la douceur des lois ! »