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DE L’ESPRIT DES LOIS.


a d’écus destinés pour la Hollande. S'il y a beaucoup de lettres offertes par les Hollandois, et peu d’écus offerts par les François, l’argent est rare en France, et commun en Hollande ; et il faut que le change hausse, et que pour mon écu on me donne plus de cinquante-quatre gros ; autrement je ne le donnerois pas ; et vice versa.

On voit que les diverses opérations du change forment un compte de recette et de dépense qu’il faut toujours solder ; et qu’un État qui doit, ne s’acquitte pas plus avec les autres par le change, qu’un particulier ne paie une dette en changeant de l’argent.

Je suppose qu’il n’y ait que trois États dans le monde : la France, l’Espagne et la Hollande ; que divers particuliers d’Espagne dussent en France la valeur de cent mille marcs d’argent, et que divers particuliers de France dussent en Espagne cent dix mille marcs ; et que quelque circonstance fit que chacun, en Espagne et en France, voulût tout à coup retirer son argent : que feroient les opérations du change ? Elles acquitteroient réciproquement ces deux nations de la somme de cent mille marcs ; mais la France devroit toujours dix mille marcs en Espagne, et les Espagnols auroient toujours des lettres sur la France pour dix mille marcs, et la France n’en auroit point du tout sur l’Espagne.

Que si la Hollande étoit dans un cas contraire avec la France, et que, pour solde, elle lui dût dix mille marcs, la France pourroit payer l’Espagne de deux manières : ou en donnant à ses créanciers en Espagne des lettres sur ses débiteurs de Hollande pour dix mille marcs, ou bien en envoyant dix mille marcs d’argent en espèces en Espagne.

Il suit de là que, quand un État a besoin de remettre une somme d’argent dans un autre pays, il est indifférent,