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LIVRE XXII, CHAP. X.


rement en France par écus de trois livres, le change demandera combien un écu de trois livres vaudra de gros. Si le change est à cinquante-quatre, l'écu de trois livres vaudra cinquante-quatre gros ; s’il est à soixante, il vaudra soixante gros ; si l’argent est rare en France, l’écu de trois livres vaudra plus de gros ; s'il est en abondance, il vaudra moins de gros.

Cette rareté ou cette abondance, d'où résulte la mutation du change, n’est pas la rareté ou l’abondance réelle ; c’est une rareté ou une abondance relative : par exemple, quand la France a plus besoin d’avoir des fonds en Hollande, que les Hollandois n’ont besoin d’en avoir en France, l’argent est appelé commun en France, et rare en Hollande ; et vice versa [1].

Supposons que le change avec la Hollande soit à cinquante-quatre. Si la France et la Hollande ne composoient qu’une ville, on feroit comme l’on fait quand on donne la monnoie d’un écu : le François tireroit de sa poche trois livres, et le Hollandois tireroit de la sienne cinquante-quatre gros. Mais, comme il y a de la distance entre Paris et Amsterdam, il faut que celui qui me donne pour mou écu de trois livres cinquante-quatre gros qu’il a en Hollande, me donne une lettre de change de cinquante-quatre gros sur la Hollande. Il n’est plus ici question de cinquante-quatre gros, mais d’une lettre de cinquante-quatre gros. Ainsi, pour juger [2] de la rareté ou de l’abondance de l’argent, il faut savoir s’il y a en France plus de lettres de cinquante-quatre gros destinées pour la France, qu’il n’y

  1. Le change est le véritable baromètre du commerce, a dit Dutôt.
  2. Il y a beaucoup d’argent dans une place lorsqu’il y a plus d’argent que de papier ; il y en a peu lorsqu’il y a plus de papier que d’argent. (M.)