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LIVRE XXVII, CHAPITRE UNIQUE.


l’accompagner chez ses amis, pour savoir d’eux s’il devoit remettre l'hérédité de Quintus Fadius Gallus à Fadia sa fille. Il avoit assemblé plusieurs jeunes gens, avec de très-graves personnages ; et aucun ne fut d’avis qu’il donnât plus à Fadia que ce qu’elle devoit avoir par la loi Voconienne. Sextilius eut là une grande succession, dont il n’auroit pas retenu un sesterce, s’il avoit préféré ce qui étoit juste et honnête à ce qui étoit utile. Je puis croire, ajoute-t-il, que vous auriez rendu l’hérédité ; je puis croire même qu’Épicure l’auroit rendue ; mais vous n’auriez pas suivi vos principes. » Je ferai ici quelques réflexions.

C’est un malheur de la condition humaine que les législateurs soient obligés de faire des lois qui combattent les sentiments naturels mêmes : telle fut la loi Voconienne. C’est que les législateurs statuent plus sur la société que sur le citoyen, et sur le citoyen que sur l’homme. La loi sacrifioit et le citoyen et l’homme, et ne pensoit qu’à la république. Un homme prioit son ami de remettre sa succession à sa fille : la loi méprisoit dans le testateur les sentiments de la nature ; elle méprisoit dans la fille la piété filiale ; elle n’avoit aucun égard pour celui qui étoit chargé de remettre l’hérédité, qui se trouvoit dans de terribles circonstances. La remettoit-il, il étoit un mauvais citoyen ; la gardoit-il, il était un malhonnête homme. Il n’y avoit que les gens d’un bon naturel qui pensassent à éluder la loi ; il n’y avoit que les honnêtes gens qu’on pût choisir pour l’éluder : car c’est toujours un triomphe à remporter sur l’avarice et les voluptés ; et il n’y a que les honnêtes gens qui obtiennent ces sortes de triomphes. Peut-être même y auroit-il de la rigueur à les regarder en cela comme de mauvais citoyens. Il n’est pas impossible que le législateur eût obtenu une grande partie de son