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DE L’ESPRIT DES LOIS.


dises, le papier [1] est un signe de la valeur de l’argent ; et, lorsqu’il est bon, il le représente tellement, que, quant à l’effet, il n’y a point de différence.

De même que l’argent est un signe d’une chose, et la représente, chaque chose est un signe de l’argent, et le représente ; et l’État est dans la prospérité, selon que, d’un côté, l’argent représente bien toutes choses, et que, d’un autre, toutes choses représentent bien l’argent, et qu’ils sont signes les uns des autres ; c'est-à-dire que, dans leur valeur relative, on peut avoir l’un sitôt que l’on a l’autre. Cela n’arrive jamais que dans un gouvernement modéré, mais n’arrive pas toujours dans un gouvernement modéré : par exemple, si les lois favorisent un débiteur injuste, les choses qui lui appartiennent ne représentent point l’argent, et n’en sont point un signe [2]. A l’égard du gouvernement despotique, ce seroit un prodige si les choses y représentoient leur signe : la tyrannie et la méfiance font que tout le monde y enterre son argent [3] : les choses n’y représentent donc point l’argent.

Quelquefois les législateurs ont employé un tel art, que non-seulement les choses représentoient l’argent par leur nature, mais qu’elles devenoient monnoie comme l’argent même. César [4], dictateur, permit aux débiteurs de donner en paiement à leurs créanciers des fonds de terre au prix qu’ils valoient avant la guerre civile. Tibère [5] ordonna que

  1. A. Certain papier, etc.
  2. Il serait plus exact de dire que ces choses ne sont point dans le commerce, et que le privilège du débiteur lui ôte tout crédit. Quant à la valeur des choses elle existe toujours, si elles sont vénales.
  3. C'est un ancien usage à Alger, que chaque père de famille ait un trésor enterré. Laugier de Tassis, Histoire du royaume d’Alger, liv. I, c. VIII. (M.)
  4. Voyez César, de la Guerre civile, liv.III. (M.) Inf. XXIX, c. VI.
  5. Tacite, Ann., liv. VI, c. XVII. (M.)