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LIVRE XXV, CHAP. III.


tares, n’habitant point de maisons, ne connoissoient point de temples.

Les peuples qui n’ont point de temples ont peu d’attachement pour leur religion : voilà pourquoi les Tartares ont été de tout temps si tolérants [1] ; pourquoi les peuples barbares qui conquirent l'empire romain ne balancèrent pas un moment à embrasser le christianisme ; pourquoi les sauvages de l’Amérique sont si peu attachés à leur propre religion ; et pourquoi, depuis que nos missionnaires leur ont fait bâtir au Paraguay des églises, ils sont si fort zélés pour la nôtre.

Comme la divinité est le refuge des malheureux, et qu’il n’y a pas de gens plus malheureux que les criminels, on a été naturellement porté à penser que les temples étoient un asile pour eux ; et cette idée parut encore plus naturelle chez les Grecs, où les meurtriers, chassés de leur ville et de la présence des hommes, sembloient n’avoir plus de maisons que les temples, ni d’autres protecteurs que les dieux.

Ceci ne regarda d’abord que les homicides involontaires ; mais, lorsqu’on y comprit les grands criminels, on tomba dans une contradiction grossière : s’ils avoient offensé les hommes, ils avoient à plus forte raison offensé les dieux.

Ces asiles se multiplièrent dans la Grèce : les temples, dit Tacite [2], étoient remplis de débiteurs insolvables et d’esclaves méchants ; les magistrats avoient de la peine à exercer la police ; le peuple protégeoit les crimes des hommes, comme les cérémonies des dieux ; le sénat fut obligé d’en retrancher un grand nombre.

  1. Cette disposition d’esprit a passé jusqu’aux Japonois, qui tirent leur origine des Tartares, comme il est aisé de le prouver. (M.)
  2. Annal., liv. III, C. LX. (M.)