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LIVRE XXIII, CHAP. XXIX.


riture, un vêtement convenable, et un genre de vie qui ne soit point contraire à la santé [1].

Aureng-Zeb [2], à qui on demandoit pourquoi il ne bâtissoit point d’hôpitaux, dit : « Je rendrai mon empire si riche qu’il n’aura pas besoin d’hôpitaux. » Il auroit fallu dire : Je commencerai par rendre mon empire riche, et je bâtirai des hôpitaux.

Les richesses d’un État supposent beaucoup d’industrie. Il n’est pas possible que dans un si grand nombre de branches de commerce, il n’y en ait toujours quelqu’une qui souffre, et dont par conséquent les ouvriers ne soient dans une nécessité momentanée.

C’est pour lors que l’État a besoin d’apporter un prompt secours, soit pour empêcher le peuple de souffrir, soit pour éviter qu’il ne se révolte : c’est dans ce cas qu’il faut des hôpitaux, ou quelque règlement équivalent, qui puisse prévenir cette misère.

Mais quand la nation est pauvre, la pauvreté particulière dérive de la misère générale ; et elle est, pour ainsi dire, la misère générale. Tous les hôpitaux du monde ne sauroient guérir cette pauvreté particulière ; au contraire, l’esprit de paresse qu’ils inspirent, augmente

  1. L'État doit chercher à faciliter le travail et le bien-être de tous les citoyens, en écartant les obstacles politiques et économiques que les lois peuvent éloigner ; mais dire que l'État doit à tous les citoyens la nourriture, le vêtement, etc., c*est transformer la société en couvent-manufacture. C'est l'erreur du socialisme qui n'est qu'une mauvaise copie de l'antiquité mal connue et mal comprise. Du reste l'opinion de Montesquieu est celle de l'abbé de Saint-Pierre. « Celui qui est dans l’extrême pauvreté a un droit réel et positif, une action de droit naturel sur le riche ; sa grande misère fait son droit, et un droit incontestable. » (Rêves d’un homme de bien, p. 268.) L’abbé appelle cela une aumône de justice ; il ne voit pas que les deux mots se contredisent.
  2. Voyez Chardin, Voyage de Perse, tome VIII. (M.)