Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t4.djvu/46

Cette page n’a pas encore été corrigée
30
DE L’ESPRIT DES LOIS.

ne pouvoient subsister, car, dès que le peuple avoit la législation, il pouvoit, au moindre caprice, anéantir la royauté, comme il fit partout.

Chez un peuple libre, et qui avoit le pouvoir législatif ; chez un peuple renfermé dans une ville, où tout ce qu’il y a d’odieux devient plus odieux encore, le chef-d’œuvre de la législation est de savoir bien placer la puissance de juger. Mais elle ne le pouvoit être plus mal que dans les mains de celui qui avoit déjà la puissance exécutrice. Dès ce moment, le monarque devenoit terrible. Mais en même temps, comme il n’avoit pas la législation, il ne pouvoit pas se défendre contre la législation ; il avoit trop de pouvoir, et il n’en avoit pas assez.

On n’avoit pas encore découvert que la vraie fonction du prince étoit d’établir des juges, et non pas de juger lui-même. La politique contraire rendit le gouvernement d’un seul insupportable. Tous ces rois furent chassés. Les Grecs n’imaginèrent point la vraie distribution des trois pouvoirs dans le gouvernement d’un seul ; il ne l’imaginèrent

que dans le gouvernement de plusieurs, et ils appelèrent cette sorte de constitution, police[1].

____________
  1. Voyez Aristote, Politique, liv. IV, chap. VIII. (M.) Ce qu’Aristote nomme police est ce que Polybe appelle démocratie.