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DE L'ESPRIT DES LOIS.

L’armée méprisera toujours un sénat et respectera ses officiers. Elle ne fera point cas des ordres qui lui seront envoyés de la part d'un corps composé de gens qu’elle croira timides, et indignes par là de lui commander. Ainsi, sitôt que l’armée dépendra uniquement du corps législatif, le gouvernement deviendra militaire. Et si le contraire est jamais arrivé, c’est l’effet de quelques circonstances extraordinaires ; c’est que l’armée y est toujours séparée ; c’est qu’elle est composée de plusieurs corps qui dépendent chacun de leur province particulière ; c’est que les villes capitales sont des places excellentes, qui se défendent par leur situation seule, et où il n’y a point de troupes.

La Hollande est encore plus en sûreté que Venise ; elle submergeroit les troupes révoltées, elle les feroit mourir de faim. Elles ne sont point dans les villes qui pourroient leur donner la subsistance ; cette subsistance est donc précaire.

Que si, dans le cas où l’armée est gouvernée par le corps législatif, des circonstances particulières empêchent le gouvernement de devenir militaire, on tombera dans d’autres inconvénients ; de deux choses l'une : ou il faudra que l’armée détruise le gouvernement, ou que le gouvernement affaiblisse l’armée[1].

Et cet affoiblissement aura une cause bien fatale : il naîtra de la foiblesse même du gouvernement.

Si l'on veut lire l’admirable ouvrage de Tacite sur les mœurs des Germains[2], on verra que c’est d’eux que les

  1. A. B. n'ont point ce paragraphe ni le suivant.
  2. Cap. XI. De minoribus rebus principes consultant, de majoribus omnes ; ita tamen ut ea quoque quorum penes plebem arbitrium est apud principes pertractentur. (M.)