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LIVRE XI, CHAP. VI.

Il pourroit encore arriver que quelque citoyen, dans les affaires publiques, violeroit les droits du peuple, et feroit des crimes que les magistrats établis ne sauroient ou ne voudroient pas punir. Mais, en général, la puissance législative ne peut pas juger ; et elle le peut encore moins dans ce cas particulier, où elle représente la partie intéressée, qui est le peuple. Elle ne peut donc être qu’accusatrice. Mais devant qui accusera-t-elle ? Ira-t-elle s’abaisser devant les tribunaux de la loi, qui lui sont inférieurs, et d’ailleurs composés de gens qui, étant peuple comme elle, seroient entraînés par l’autorité d’un si grand accusateur ? Non : il faut, pour conserver la dignité du peuple et la sûreté du particulier, que la partie législative du peuple accuse devant la partie législative des nobles, laquelle n’a ni les mêmes intérêts qu’elle, ni les mêmes passions.

C’est l’avantage qu’a ce gouvernement sur la plupart des républiques anciennes, où il y avoit cet abus, que le peuple étoit en même temps et juge et accusateur.

La puissance exécutrice, comme nous avons dit, doit prendre part à la législation par sa faculté d’empêcher ; sans quoi elle sera bientôt dépouillée de ses prérogatives. Mais si la puissance législative prend part à l’exécution, la puissance exécutrice sera également perdue.

Si le monarque prenoit part à la législation par la faculté de statuer, il n’y auroit plus de liberté. Mais, comme il faut pourtant qu'il ait part à la législation pour se défendre, il faut qu’il y prenne part par la faculté d’empêcher.

Ce qui fut cause que le gouvernement changea à Rome, c’est que le Sénat, qui avoit une partie de la puissance exécutrice, et les magistrats, qui avoient l’autre,