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LX
INTRODUCTION


semblait guère. Il est même difficile d’imaginer un genre d’esprit plus différent. « Dans chaque homme, a dit Coleridge, il y a un Platon ou un Aristote, mais jamais Platon n’est Aristote, ni Aristote n’est Platon. » Vérité profonde, sous la forme d’un paradoxe. On dirait qu’il y a deux sortes d’esprits parmi les hommes. Les uns se plaisent dans les pures conceptions de l’intelligence ; les autres ne connaissent que les faits, et se bornent à généraliser leurs observations. Les premiers, malgré leur prétention de n’en appeler qu’à la raison, sont souvent dupes de leur imagination et de leurs souvenirs ; les seconds vont souvent trop loin dans leurs conclusions ; mais les deux écoles ne s’entendent guère, et leur rapprochement a plus d’apparence que de vérité. Helvétius était de ceux qui trouvent à priori la solution de tous les problèmes. Pour lui l’intérêt personnel explique tout : politique, morale, législation. Le passé ni l’avenir n’ont rien à lui apprendre ; c’est un algébriste qui possède une formule absolue. A quoi bon étudier l’histoire ? c’est un labeur sans objet ; c’est du temps perdu. Aussi le prend-il de haut avec son cher Président, et ne lui ménage-t-il pas les critiques. Helvétius était un galant homme, quelques-unes de ses réflexions sont justes [1] ; mais il n’était pas fait pour entendre Montesquieu, et encore moins pour rivaliser avec lui. Les livres de l'Esprit et de l'Homme, qui devaient remplacer l'Esprit des lois, sont depuis longtemps oubliés.

La Harpe et Servan ont tous deux parlé de l'Esprit des lois : La Harpe, dans sa seconde manière, quand la révolution l’eut dégoûté du parti philosophique ; Servan, en s’occupant des lois criminelles et de leur réforme ; tous deux avec une vive admiration de Montesquieu.

  1. Ces notes, qui s’arrêtent au VIIIe livre de l'Esprit des lois ont été publiées par l'abbé de la Roche, dans l’édition des Œuvres de Montesquieu, imprimées chez Pierre Didot, en l'an III. Elles ont été reproduites dans l'édition Dalibon ; j'ai conservé celles qui m'ont paru avoir de l’intérêt.