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XXXIII
A L’ESPRIT DES LOIS.


tion de quelques termes qui, dans certains pays, ne paroissent pas assez modérés, ou que des gens simples regardent comme équivoques ; dans ce cas je dis que des modifications ou éclaircissements dans une édition suivante, et dans une apologie déjà faite [1], suffisent. Ainsi Votre Excellence voit que, par le tour que cette affaire prend, je me fais plus de mal que l’on ne peut m'en faire, et que le mal qu’on peut me faire cessera d’en être un, sitôt que moi, jurisconsulte françois, je le regarderai avec cette indifférence que (sic) mes confrères, les jurisconsultes françois, ont regardé les procédés de la congrégation dans tous les temps. »


Ces dernières paroles sont d’un magistrat et d’un gallican. Jamais, dans notre ancienne monarchie, on n’a tenu compte des décisions que pouvait prendre la congrégation de l'Index. C’était là une de ces vieilles libertés auxquelles nos pères tenaient avec raison, car elle leur servait à défendre l’indépendance nationale et la liberté de l’esprit humain contre les prétentions ultramontaines. Que serait devenue la science, que serait devenue la France elle-même, si l’on s’était résigné à passer sous le joug de quelques théologiens, serviteurs dévoués des entreprises romaines ?

Montesquieu ajoute fièrement : « Je crois qu’il n’est point de l'intérêt de la cour de Rome de flétrir un livre de droit que toute l’Europe a déjà adopté ; ce n'est rien de le condamner, il faut le détruire. » Cri d’un grand homme qui sent ce qu’il vaut.

Cependant, à la fin de sa lettre, il baisse le ton et demande qu’on lui épargne un nouvel ennui : « Il me paroît, dit-il, que le parti que Votre Excellence a pris de tirer l’affaire en longueur est, sans difficulté, le meilleur, et peut conduire beaucoup à faire traiter l’affaire par voie d’impegno [2]. » Éviter tout éclat, telle devait être la politique d’un homme qui cher-

  1. Allusion à la Défense de l'Esprit des lois.
  2. Le mot signifie transaction, arrangement amiable. Cependant à en croire Alberti, dans son dictionnaire italien publié au siècle dernier, ce mot aurait été employé par les écrivains français dans un sens tout opposé, pour exprimer la résolution de ne pas céder. J’estime que Montesquieu se sert du mot impegno dans le premier sens.