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XXXI
A L’ESPRIT DES LOIS.


tractation ou à des modifications toujours fâcheuses [1]. » Cette perpétuelle menace d’une censure agaçait Montesquieu. « La Sorbonne, écrivait-il en 1753, cherche toujours à m’attaquer ; il y a deux ans qu’elle travaille sans savoir guère comment s’y prendre. Si elle me fait mettre à ses trousses, je crois que j’achèverai de l'ensevelir [2] ; j’en serois bien fâché, car j'aime la paix par-dessus toutes choses [3]

A la mort de Montesquieu, en 1755, la Sorbonne n’avait rien fait encore, mais les amis de Montesquieu n’étaient point rassurés ; on craignait une condamnation d’autant plus facile à prononcer que l’écrivain ne serait plus là pour se défendre, et qu’en condamnant le livre on n’atteindrait pas la personne de l’auteur. Il y avait là un péril que le parti philosophique essayait de conjurer. C’est ainsi que j’explique un passage de l'Éloge de Montesquieu. Dans un langage entortillé, mais qui contient autant de flatteries que de menaces, d’Alembert invite la Sorbonne à laisser dormir ses foudres vieillies :


« Il s'agissoit de la religion ; une délicatesse louable a fait prendre à la faculté le parti d’examiner l'Esprit des lois. Quoiqu’elle s’en occupe depuis plusieurs années, elle n’a rien prononcé jusqu’ici ; et fût-il échappé à M. de Montesquieu quelques inadvertances légères, presque inévitables dans une carrière si vaste, l'attention longue et scrupuleuse qu’elles auraient demandée de la part du corps le plus éclairé de l’Église prouveroit au moins combien elles seroient excusables. Mais ce corps, plein de prudence, ne précipitera rien dans une si importante matière. Il connoît les bornes de la raison et de la foi ; il sait que l’ouvrage d’un homme de lettres ne doit point être examiné comme celui d’un théologien... ; que d’ailleurs nous vivons dans un siècle malheureux, où les intérêts de la religion ont besoin d'étre ménagés, et qu’on peut lui nuire auprès des simples, en répandant mal à propos, sur des génies du premier ordre, le soupçon d’incrédulité ; qu’enfin, malgré cette accusation injuste, M. de Montesquieu fut toujours estimé, recherché et accueilli par tout ce que l’Église a de plus respectable et de plus grand. Eût-il conservé auprès des gens de bien la considération dont il jouissoit, s’ils l’eussent regardé comme un écrivain dangereux ? »

  1. Éloge de Montesquieu, tome I, p. 10.
  2. On venait de publier le Tombeau de la Sorbonne, pièce attribuée à Voltaire.
  3. Lettre à l'abbé de Guasco, du 5 mars 1755.