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CHAPITRE XXI.


DE LA CLÉMENCE DU PRINCE.


La clémence est la qualité distinctive des monarques. Dans la république, où Ton a pour principe la vertu, elle est moins nécessaire. Dans l'État despotique, où règne la crainte, elle est moins en usage, parce qu’il faut contenir les grands de l'État par des exemples de sévérité. Dans les monarchies, où l'on est gouverné par l’honneur, qui souvent exige ce que la loi défend [1], elle est plus nécessaire [2]. La disgrâce y est un équivalent à la peine ; les formalités même des jugements y sont des punitions. C’est là que la honte vient de tous côtés pour former des genres particuliers de peine.

Les grands y sont si fort punis par la disgrâce, par la perte souvent imaginaire de leur fortune, de leur crédit, de leurs habitudes, de leurs plaisirs, que la rigueur à leur égard est inutile ; elle ne peut servir qu’à ôter aux sujets l’amour qu’ils ont pour la personne du prince, et le respect qu’ils doivent avoir pour les places.

Comme l’instabilité des grands est de la nature du gouvernement despotique, leur sûreté entre dans la nature de la monarchie.

  1. En cas de duel, par exemple.
  2. L'auteur ne parie que de la cour et de la noblesse de France. Il oublie quelle était la dureté des peines pour le peuple, et combien la clémence du prince était rarement mise en jeu, quand il ne s'agissait point des grands.